Radio-a est une webradio orientée par la psychanalyse, créée par des membres de l'Envers de Paris et de l'Association Cause Freudienne. Le tout venant est invité, à venir parler à partir de thèmes qui intéresse les psychanalystes. C'est le "sens de l'extimité", formule de JA Miller dans le magazine le point, qui est sollicité dans ces entretiens, c'est à dire le rapport de chacun à son authenticité. Dans le même temps, au travers de ses nombreuses rubriques, Radio-a diffuse les débats et les discussions, lorsque les psychanalystes choisissent d'aller à la rencontre de leur propre hors-champ. Voix, regard, et lettre composent le site de radio-a dont la ligne éditoriale est : " Au-delà des semblants, embrouille et savoir-y-faire".
Eminemment politique, donc.
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jeudi 11 février 2010
lundi 25 janvier 2010
Ultimate fight, Par Anaëlle Lebovits
Le « management par le stress » appuyé sur l’évaluation, la quantification et le comportementalisme a montré ses effets. On ignore si les employés rompus à ces méthodes sont aujourd’hui plus rentables qu’autrefois – on peut en douter –, mais on sait en revanche, qu’ils dépérissent. Yonnel Dervin vient de faire paraître Ils m’ont détruit ! Le rouleau compresseur de France Télécom. Il n’est pas seul à dire les humiliations et vexations qu’inflige le management « rationnel » auquel cèdent trop d’entreprises de l’hexagone. Car comment procède-t-il, ce management ? Pour réduire les coûts de production, il entend réduire les salariés au seul comportement pour lesquels ils sont rémunérés. Ce que la machine ne peut faire, des hommes le font, mais si possible comme des machines. Tout ce qui distingue l’humain du robot programmé pour exécuter sa tâche est ainsi abrasé, éradiqué, interdit. Désubjectiver l’employé pour plus de rentabilité, voilà le programme des réjouissances. À ce titre et en toute logique, ce qui les distingue les uns des autres – leurs sentiments, leur histoire, leurs conceptions, leurs émotions – n’a plus droit de cité au travail. Pour un manager en quête de rentabilité, un employé se réduit au maillon interchangeable d’une chaîne de production. La disparition pure et simple de la scène dont s’éjectent les suicidés interprète le discours managérial. « Tu peux me remplacer, eh bien, vas-y, remplace-moi », dit le mort, d’entre les morts.
L’expertise les tue à nouveau
Malgré ce dont témoignent les rescapés (ceux qui se sont ratés), certains de nos contemporains, des savants, expliquent tout autrement l’épidémie de suicides qui frappe notre époque : ceux qui se tuent auraient rencontré un risque « bio-psycho-social », la mort qu’ils se donnent est le résultat d’une série de causes extérieures au sujet[i]. Disons-le, l’expert en santé mentale ne traite pas mieux ici le sujet que le manager qui l’a acculé au suicide. Pas plus que lui, il n’envisage le suicidé comme un sujet s’étant donné la mort, mais comme un être désubjectivé qui a été extérieurement déterminé à procéder de la sorte. Nulle subjectivité à l’œuvre, nul choix, fut-il forcé, ne préside à l’acte funeste. Mort pour rompre avec la désubjectivation dont il est l’objet, sa mort même est désubjectivée. Une fois mort, on entend continuer à le déresponsabiliser. Sous le coup du regard de l’expert, le suicidé meurt une seconde fois. Le discours des experts donne bel et bien raison au discours managérial : si un homme n’est que la somme des facteurs qui le déterminent – facteurs bio, psy, et social – alors, oui, il est éducable, réductible au travail de la machine, et programmable comme elle. Et alors, ce n’est pas un sujet qui meurt avec le salarié, mais la somme des déterminations qui le constituent.
Avec La Boétie et Lacan
Je ne cesse, moi, de m’étonner du tragique succès de cette tyrannie qu’exerce l’évaluation sur les salariés de France. En se tuant, le salarié joue pourtant sa partie. Au moment même où il s’y soustrait et lui échappe définitivement, il cède au discours managérial, s’immole sur l’autel de l’évaluation. Le salarié brisé révèle avoir adopté l’œil de l’évaluateur pour lequel il n’était jamais assez performant. Déprimé, il se mire de son regard dépréciateur. Les condamnations dont il était l’objet se muent en auto-condamnations. Seul un sujet peut consentir à ce qui lui fait du tort, épouser les vues de son bourreau. « Les bêtes […] ne se peuvent accoutumer à servir, qu’avec protestation d’un désir contraire », notait La Boétie il y a cinq siècles. Au moment où il consent à la demande qui lui est faite de se déposséder de son humanité, dans et par ce consentement même, il fait signe d’une subjectivité. « Le suicide est le seul acte qui puisse réussir sans ratage, indique Lacan. Si personne n’en sait rien, c’est qu’il procède du parti pris de ne rien savoir ». Le suicide est donc une réponse, une réponse silencieuse certes, mais une réponse tout de même. Une seule voie peut redonner dignité et fierté à ceux de nos contemporains qui perdent le nord sous la férule de l’évaluation : s’aviser que le tyran ne prospère que d’un certain consentement, que seule une servitude volontaire lui permet de rester aux commandes. Le tyran a une tête. Il faut la lui couper. Prendre en considération la dimension de la servitude volontaire, c’est dire que derrière chaque salarié, chaque évalué et rééduqué de France, il y a bel et bien un sujet.
[i] Cf. l’éloquent schéma p. 77 de La santé mentale, l’affaire de tous. Pour une approche cohérente de la qualité de la vie, rapport récemment remis à Nathalie Kosciusko-Morizet, par Viviane Kovess & Co.
Monique Seguin et l’autopsie psychologique, par Anne Béraud
Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre. »
Alphonse Daudet, La chèvre de Monsieur Seguin
Une experte en suicides
Spécialiste du suicide, Monique Seguin jouit au Canada d’une grande reconnaissance. Elle a reçu de nombreux prix. À ce titre, elle est membre d’une expertise sur le suicide dirigée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France. Ph.D. en psychologie, Monique Seguin est professeur de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, membre du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie de l’Université du Québec à Montréal, directrice du Laboratoire d’étude sur le suicide au Centre Fernand-Seguin à l’hôpital Lafontaine (Montréal), collaboratrice au Groupe McGill d’études sur le suicide qui travaille sur les « facteurs de risque associés aux comportements suicidaires et aux maladies qui lui sont reliées comme la dépression » à partir du tissu cérébral, du génome, des facteurs cliniques et sociaux.
Monique Seguin s’interroge sur le lien entre les séparations précoces, les difficultés relationnelles, les problèmes de santé mentale et le suicide. « L’enjeu consiste à identifier les combinaisons d’événements qui placent les individus à risques de psychopathologie et de passage à l’acte suicidaire. » Elle a réalisé une étude en 2002-2003 pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick (Canada) dans laquelle elle établit le profil des personnes susceptibles de mettre fin à leurs jours.
Dans le secret des cadavres
Son étude est présentée dans le rapport de l’Inserm 2008 en vue de donner les « lignes directrices pour l’application de l’autopsie psychologique en recherche ». Se fiant à l’étude menée au Nouveau-Brunswick, elle évalue le coût d’une telle étude en France à 320 000 euros.
Ses recherches reposent sur l’autopsie psychologique, c’est-à-dire l’étude post mortem du suicidé. Elle procède d’une part à une enquête médico-légale sur la cause du décès (consultation des médecins légistes et policiers, des dossiers juridiques et médicaux) et d’autre part, à des entretiens auprès des proches du suicidé afin de poser un diagnostic fondé sur le dsm-iv et de retracer sa trajectoire de vie. Elle a mis au point un graphique illustrant cette trajectoire de vie et révèle que 94 % « des suicidés présentaient des troubles mentaux et 40 % des troubles de la personnalité au moment du passage à l’acte » (anxiété, troubles de l’humeur, psychose, dépendance à l’alcool ou au jeu). Son objectif est de réduire l’écart entre les services reçus et les services requis. Afin d’inciter la population à intervenir avec une personne suicidaire, elle promeut « une campagne promotionnelle qui cible ces comportements ». Elle recommande aussi des politiques proactives « visant à impliquer les services de santé mentale et de toxicomanies, psychosociaux et médicaux, les systèmes judiciaires et policiers pour l’établissement de protocoles régionaux afin d’assurer la coordination par la présence d’intervenants pivots ». Son domaine d’intervention s’est élargi aux milieux scolaires et de travail. Ses objectifs visent à diminuer le niveau de stress et l’impact de la crise, à favoriser le processus de deuil, afin d’éviter la contagion et ainsi prévenir d’éventuels suicides. »
De la prévention à la contagion suicidaire
L’autopsie psychologique réalisée sur des morts vise à dresser le portrait robot du suicidé. À prélever son tissu cérébral, à tracer sa trajectoire de vie, elle espère attraper les causes du suicide afin de les prévenir en cernant la population à risque. En voulant traiter un problème, les politiques en santé mentale en renforcent le signifiant maître et le phénomène de « contagion ». Les sujets étiquetés comme suicidaires ne sont plus écoutés qu’à ce titre. S’ils veulent obtenir des services sociaux et psychologiques, ils doivent s’identifier dans cette catégorie. Réduire le suicide à un niveau sociétal comporte ainsi le risque de déclencher un phénomène inverse de celui recherché.
OPA des TCC sur le marché du stress, par Alice Delarue [LNA10]
Rush sur le stress au travail
Octobre 2009. Suite à la vague de suicides qui a touché France Télécom, le ministre du Travail somme les grandes entreprises d’engager des négociations internes sur le stress au travail d’ici à février 2010. L’ouverture de la chasse a sonné pour les cabinets de gestion des « risques psychosociaux » qui se disputent un marché juteux au milieu d’entreprises aux abois, pressées de démontrer leur activisme en matière de prévention.
Sur la ligne de départ, les mieux placés sont ceux qui ont les faveurs de la Direction générale du travail et des directions d’entreprises, en l’occurrence les cabinets d’orientation cognitivo-comportementaliste comme Technologia, ou encore Stimulus. Son directeur, Patrick Légeron, est l’auteur d’un rapport sur les risques psychosociaux commandé par le ministère. Après avoir infiltré la santé, l’éducation, et bien d’autres domaines, les tcc s’attaquent maintenant à la prévention du stress au travail.
Une affinité naturelle
Lorsque l’on regarde d’un peu plus près l’histoire de ces officines du stress, on s’aperçoit qu’il s’agit pour la plupart de cabinets classiques de formation et de gestion des ressources humaines, spécialisés dans le conseil en management, notamment dans la gestion des plans sociaux et récemment réorientés dans la prévention des risques psychosociaux – nouveau marché porteur en ces temps de faible recrutement – en s’adjoignant des experts psychiatres, généralement técécéistes. La boucle est bouclée : le comportementalisme s’était, par une affinité naturelle avec le taylorisme, implanté dans les usines américaines afin d’augmenter la productivité des ouvriers1 – et c’est très logiquement que cette alliance, devenue celle du management et des tcc, avait perduré après le tournant gestionnaire des années 80 –, le voilà maintenant intronisé expert es stress. Or, le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont jusqu’ici pas combattu les causes premières de la souffrance au travail, à savoir le management par le stress, considéré comme facteur de motivation2, et l’évaluation individualisée par objectifs, faite pour « tirer » l’individu vers le haut et le pousser à s’améliorer en permanence. Stimulus est ainsi intervenu, il y a quelques années, chez ibm ou France Télécom pour prévenir le stress, sans que soient remises en cause les méthodes très contestées d’évaluation dites de « direction participative par objectif », importées des usa dans les années 80.
Soigner le mal par le mal
Ce sont donc les mêmes experts qui interviennent avant et après pour traiter ce qui a échappé et échappera toujours à leurs statistiques et questionnaires, la souffrance des salariés, rebaptisée « risque psychosocial » pour l’individualiser et évacuer l’idée qu’elle pourrait être liée à l’organisation du travail. Un consultant de l’Ifas le dit clairement : « On ne mesure pas les facteurs de stress car ça crée des revendications syndicales auxquelles les directions ne savent pas répondre. Notre job consiste à agir, à contrainte égale, sur les comportements. Car l’instance de régulation du stress, c’est le management »3.
Pour les tenants des tcc, le stress est un trouble comportemental, une faute d’apprentissage, voire une faiblesse biologique. Leurs programmes sont donc centrés sur sa gestion, au moyen de techniques de relaxation ou de coaching, qui visent à ce que le salarié développe sa confiance en lui, ses compétences à supporter les tensions. Bref, à ce qu’il ajuste ses comportements à la situation. La mise en place d’une ligne d’écoute et la formation des managers au repérage des risques suicidaires complètent habituellement le dispositif.
Le management étant en partie fondé sur l’emprise individuelle, il s’agit pour les entreprises d’escamoter la dimension collective qui pourrait conduire à des mouvements sociaux. Point de convergence avec les officines tcc (Stimulus précise ainsi que ses formations « tiennent compte du contexte et des objectifs et respectent la culture et l’organisation de l’entreprise »). L’alliance est bel et bien consommée, cqfd.
2 Comme le dit Richard Thibodeau, consultant tcc : « créer un environnement qui supporte le stress positif en éliminant le stress négatif permet d’optimiser le rendement de votre ressource la plus importante : la ressource humaine », http://www.croyancesdebase.com/travail.htm
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