lundi 25 janvier 2010

Monique Seguin et l’autopsie psychologique, par Anne Béraud


 Tu verras ce que l’on gagne à vouloir vivre libre. »
Alphonse Daudet, La chèvre de Monsieur Seguin

Une experte en suicides
Spécialiste du suicide, Monique Seguin jouit au Canada d’une grande reconnaissance. Elle a reçu de nombreux prix. À ce titre, elle est membre dune expertise sur le suicide dirigée par lInstitut national de la santé et de la recherche médicale en France. Ph.D. en psychologie, Monique Seguin est professeur de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, membre du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie de l’Université du Québec à Montréal, directrice du Laboratoire d’étude sur le suicide au Centre Fernand-Seguin à l’hôpital Lafontaine (Montréal), collaboratrice au Groupe McGill d’études sur le suicide qui travaille sur les « facteurs de risque associés aux comportements suicidaires et aux maladies qui lui sont reliées comme la dépression » à partir du tissu cérébral, du génome, des facteurs cliniques et sociaux.
Monique Seguin s’interroge sur le lien entre les séparations précoces, les difficultés relationnelles, les problèmes de santé mentale et le suicide. « L’enjeu consiste à identifier les combinaisons d’événements qui placent les individus à risques de psychopathologie et de passage à l’acte suicidaire. » Elle a réalisé une étude en 2002-2003 pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick (Canada) dans laquelle elle établit le profil des personnes susceptibles de mettre fin à leurs jours.

Dans le secret des cadavres
Son étude est présentée dans le rapport de l’Inserm 2008 en vue de donner les « lignes directrices pour lapplication de lautopsie psychologique en recherche ». Se fiant à l’étude menée au Nouveau-Brunswick, elle évalue le coût d’une telle étude en France à 320 000 euros.
Ses recherches reposent sur lautopsie psychologique, c’est-à-dire l’étude post mortem du suicidé. Elle procède d’une part à une enquête médico-légale sur la cause du décès (consultation des médecins légistes et policiers, des dossiers juridiques et médicaux) et d’autre part, à des entretiens auprès des proches du suicidé afin de poser un diagnostic fondé sur le dsm-iv et de retracer sa trajectoire de vie. Elle a mis au point un graphique illustrant cette trajectoire de vie et révèle que 94 % « des suicidés présentaient des troubles mentaux et 40 % des troubles de la personnalité au moment du passage à lacte » (anxiété, troubles de lhumeur, psychose, dépendance à lalcool ou au jeu). Son objectif est de réduire l’écart entre les services reçus et les services requis. Afin d’inciter la population à intervenir avec une personne suicidaire, elle promeut « une campagne promotionnelle qui cible ces comportements ». Elle recommande aussi des politiques proactives « visant à impliquer les services de santé mentale et de toxicomanies, psychosociaux et médicaux, les systèmes judiciaires et policiers pour létablissement de protocoles régionaux afin dassurer la coordination par la présence dintervenants pivots ». Son domaine dintervention sest élargi aux milieux scolaires et de travail. Ses objectifs visent à diminuer le niveau de stress et limpact de la crise, à favoriser le processus de deuil, afin déviter la contagion et ainsi prévenir déventuels suicides. »

De la prévention à la contagion suicidaire
L’autopsie psychologique réalisée sur des morts vise à dresser le portrait robot du suicidé. À prélever son tissu cérébral, à tracer sa trajectoire de vie, elle espère attraper les causes du suicide afin de les prévenir en cernant la population à risque. En voulant traiter un problème, les politiques en santé mentale en renforcent le signifiant maître et le phénomène de « contagion ». Les sujets étiquetés comme suicidaires ne sont plus écoutés qu’à ce titre. S’ils veulent obtenir des services sociaux et psychologiques, ils doivent s’identifier dans cette catégorie. Réduire le suicide à un niveau sociétal comporte ainsi le risque de déclencher un phénomène inverse de celui recherché.