lundi 25 janvier 2010

OPA des TCC sur le marché du stress, par Alice Delarue [LNA10]



Rush sur le stress au travail
Octobre 2009. Suite à la vague de suicides qui a touché France Télécom, le ministre du Travail somme les grandes entreprises d’engager des négociations internes sur le stress au travail d’ici à février 2010. L’ouverture de la chasse a sonné pour les cabinets de gestion des « risques psychosociaux » qui se disputent un marché juteux au milieu d’entreprises aux abois, pressées de démontrer leur activisme en matière de prévention.
Sur la ligne de départ, les mieux placés sont ceux qui ont les faveurs de la Direction générale du travail et des directions d’entreprises, en l’occurrence les cabinets d’orientation cognitivo-comportementaliste comme Technologia, ou encore Stimulus. Son directeur, Patrick Légeron, est l’auteur d’un rapport sur les risques psychosociaux commandé par le ministère. Après avoir infiltré la santé, l’éducation, et bien d’autres domaines, les tcc s’attaquent maintenant à la prévention du stress au travail.

Une affinité naturelle
Lorsque l’on regarde d’un peu plus près l’histoire de ces officines du stress, on s’aperçoit qu’il s’agit pour la plupart de cabinets classiques de formation et de gestion des ressources humaines, spécialisés dans le conseil en management, notamment dans la gestion des plans sociaux et récemment réorientés dans la prévention des risques psychosociaux – nouveau marché porteur en ces temps de faible recrutement – en s’adjoignant des experts psychiatres, généralement técécéistes. La boucle est bouclée : le comportementalisme s’était, par une affinité naturelle avec le taylorisme, implanté dans les usines américaines afin d’augmenter la productivité des ouvriers1 – et c’est très logiquement que cette alliance, devenue celle du management et des tcc, avait perduré après le tournant gestionnaire des années 80 –, le voilà maintenant intronisé expert es stress. Or, le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont jusqu’ici pas combattu les causes premières de la souffrance au travail, à savoir le management par le stress, considéré comme facteur de motivation2, et l’évaluation individualisée par objectifs, faite pour « tirer » l’individu vers le haut et le pousser à s’améliorer en permanence. Stimulus est ainsi intervenu, il y a quelques années, chez ibm ou France Télécom pour prévenir le stress, sans que soient remises en cause les méthodes très contestées d’évaluation dites de « direction participative par objectif », importées des usa dans les années 80.

Soigner le mal par le mal
Ce sont donc les mêmes experts qui interviennent avant et après pour traiter ce qui a échappé et échappera toujours à leurs statistiques et questionnaires, la souffrance des salariés, rebaptisée « risque psychosocial » pour l’individualiser et évacuer l’idée qu’elle pourrait être liée à l’organisation du travail. Un consultant de l’Ifas le dit clairement : « On ne mesure pas les facteurs de stress car ça crée des revendications syndicales auxquelles les directions ne savent pas répondre. Notre job consiste à agir, à contrainte égale, sur les comportements. Car l’instance de régulation du stress, c’est le management »3.
Pour les tenants des tcc, le stress est un trouble comportemental, une faute d’apprentissage, voire une faiblesse biologique. Leurs programmes sont donc centrés sur sa gestion, au moyen de techniques de relaxation ou de coaching, qui visent à ce que le salarié développe sa confiance en lui, ses compétences à supporter les tensions. Bref, à ce qu’il ajuste ses comportements à la situation. La mise en place d’une ligne d’écoute et la formation des managers au repérage des risques suicidaires complètent habituellement le dispositif.
Le management étant en partie fondé sur l’emprise individuelle, il s’agit pour les entreprises d’escamoter la dimension collective qui pourrait conduire à des mouvements sociaux. Point de convergence avec les officines tcc (Stimulus précise ainsi que ses formations « tiennent compte du contexte et des objectifs et respectent la culture et l’organisation de l’entreprise »). L’alliance est bel et bien consommée, cqfd.


1    Cf. Agnès Aflalo, « L’évaluation : un nouveau scientisme », Cités, n° 37, 2009, p. 79-89.
2    Comme le dit Richard Thibodeau, consultant tcc : « créer un environnement qui supporte le stress positif en éliminant le stress négatif permet d’optimiser le rendement de votre ressource la plus importante : la ressource humaine », http://www.croyancesdebase.com/travail.htm
3    http://www.wk-rh.fr/actualites/detail/4856/le-stress-fait-le-bonheur-des-consultants.html